Tout au bout de l'Eurasie il est une baie immense qui fut le cœur maritime d'un empire : Zaytun. Ici on ne parle ni mandarin ni cantonais, mais « minian », tout comme à Taïwan tout juste de l'autre côté du bras de mer. Quanzhou est le nom de la ville en langue mi, mais les chinois de la capitale la nomment autrement, ce qui porte à confusion. C'est ici que naissait la route maritime de la soie. Le festival auquel le GAR participe en tant qu'invité occidental est le « Quatrième Festival International et multidisciplinaire de la Route de la Soie » : une immense manifestation mêlant activités culturelles et universitaires, qui donne une visibilité culturelle aux efforts de l'Etat chinois pour promouvoir son projet commercial des nouvelles routes de la soie.
Nous assisterons à l'ouverture officielle, à l'opéra de Quanzhou : un spectacle de très haute tenue, mêlant des marionnettes, des danseurs et des chanteurs, ainsi qu'un orchestre classique. Il y a plus de cent comédiens et musiciens qui jouent ce soir là pour nous, une salle comble au centre de laquelle une poignée de pontes du parti dont plusieurs feront des discours, tous traduits en anglais. L'histoire se déroule dans un port, un jeune homme accusé injustement de trahison par l'empereur cherche à fuir le pays. Un ami de son père le protège, il séduit la fille de cet homme, l'armée retrouve le fugitif. C'est un soir de tempête sur le port, les soldats et le couple d'amoureux se poursuivent parmi les navires, la jeune femme tombe à la mer, le bateau s'en va, les soldats sont bredouilles. Écrit à l'occasion de cette création, le scénario m'a surpris par sa liberté d'expression, l'importance de la parole donnée et de l'amitié, et bien sûr le fil rouge de l'amour et du sacrifice. La mer est très présente, comme ce sera le cas dans d'autres spectacles des compagnies de marionnette de Quanzhou. On sent ici le poids de l'histoire de la ville, que l'on retrouve un peu partout. Ville portuaire, ville de commerce, ville ouverte au monde.
Le sixième Festival International des Théâtres de Marionnettes de Quanzhou est l'un des grands rendez-vous des professionnels chinois. L'ambiance est très différente de celle que nous avons trouvée à Pékin, au Festival TIPF, qui lui est le fait d'une petite compagnie. Ici il y a les grosses pointures qui se partagent les quelques salles de très haut niveau au centre ville. Nous autres, les étrangers, nous ne savons pas très bien pourquoi nous sommes venus : les italiens, hollandais, allemands, espagnols sont tous programmés en représentations scolaires, très loin du centre, et aucun bus n'est organisé de manière à amener les professionnels présents à venir voir nos productions. Le GAR est la seule compagnie étrangère à bénéficier d'une représentation dans une salle de théâtre. Certes nous avons été très bien traités, mais nous n'avons pas du tout été intégrés au Festival des compagnies chinoises. Pour beaucoup d'entre nous ce fut une grosse déception.
La mer a amené ici toutes les religions du monde et c'est merveille de se balader en ville, de temple en temple. La mythologie chinoise lie ses dieux à des êtres humains exceptionnels. Ainsi Mazu, protectrice des marins dans toute la mer de Chine, est liée à la vie d'une habitante de la province, un peu avant l'an mil. Le temple de Tianhou (1196), proche du fleuve, lui est dédié. C'est l'un des plus beaux de la ville, avec ses multiples cours, ses salles remplies de statues colorées, ces dragons reniflant les bâtons d'encens et la grande salle où la statue de Mazu est discrètement installée entre de grandes tentures jaunes. Il y a aussi le temple de Confucius (env 900), les immenses copies des textes anciens sur les parois. L'envie de lire, de se rapprocher de ces réflexions qui ne sont pour moi que splendides arrangements de signes coulant du toit de poutres de bois finement sculptées. Un éléphants de bronze sur l'autel, un gigantesque arbre dans la cour et des inscriptions votives qui dansent dans l'air doux. La religion est partout à Quanzhou. Le temple de Kaiyuan (685) est un parc au centre de la ville, semé de monuments et de temples boudhistes, il y a des églises chrétiennes, une mosquée, et tout ce que nous n'avons pas vu ou mal compris … Dans la plupart des cas l'entrée est libre. Ce ne sont pas des joyaux culturels utilisés à des fins de tourisme ou de commerce, ce sont des lieux de culte fréquentés, et bien entretenus.
Il y a bien sûr des musées, mais ils sont décevants. A noter que les intellectuels de la ville ne connaissent souvent même pas leur existence. Les bâtiments sont gigantesques et tape à l'oeil, comme ce musée de l'amitié Taiwano-chinoise, une pyramide de marbre et de verre qui contient une exposition sur l'histoire des liens permanents entre Taïwan et la province côtière, et où l'histoire s'arête brusquement en 1949. Il n'y a aucun mot sur l'existence de l'île après cette date. On se demande que pense un chinois à ce point de la visite. Dans le tout nouveau musée maritime, on fait grand cas des écrits d'un certain Jacob d'Ancône qui décrit la magnificence de la ville en 1270 et publié en 1997. Le personnage n'a laissé aucune autre trace de son passage sur terre que ce livre dont le manuscrit aurait été caché jusqu'en 1990, date à laquelle un journaliste anglais l'aurait reçu de la communauté juive d'Ancône … et qui a disparu depuis. Bon … fumisterie ou non? Ce qui est exposé avec les apparences du vrai devient le vrai. Une stèle musulmane attire mon attention. Il est écrit en anglais que c'est un monument Ouïghour. Un ami m'a prévenu que les textes à l'attention des touristes ne sont pas identiques aux textes chinois. J'utilise mon téléphone pour traduire les caractères chinois. Le mot ouïghour apparaît bel et bien. J'interroge l'étudiante qui nous accompagne : que veut dire ce mot, je ne le connais pas? Elle me dit tout de suite qu'elle ne sait pas, qu'elle n'a jamais entendu ce mot. Puis elle reste un long moment à lire et à tenter de comprendre de quoi parle ce tombeau.
Fatigués de la ville nous nous rendons un matin dans le port de pêche de Xunbu, tout proche. Une imposante flottille de pêche industrielle est à quai, et la pêche artisanale du matin est en vente à même le sol. Le village ancien est construit sur une bute, de l'autre côté d'une 8 pistes bien roulante. Passées les premières rangées d'immeubles nous nous retrouvons au milieu de maison basses aux murs faits de coquillages. C'est d'une beauté surprenante. Sur une paroi semi-effondrée on voit que le cœur du mur est d'adobe, et les coquillages en protègent les deux faces. Les femmes portent toutes une coiffure de fleurs. Il y en a pour tous les goûts, et c'est très beau. On dit que cette population perpétue des traditions d'une importante colonie de marchands arabes établis ici depuis l'an mille. Là encore on se surprend à trouver à chaque coin de rue un temple. Nous entrons et parfois on y trouve des hommes en train de jouer, des femmes en train de prier ou de nettoyer. On interroge : ce sont des temples familiaux, où on vénère les anciens de la famille. Sur le chemin du retour nous traversons comme chaque jour cette ceinture d'immeubles en construction, de plus de 40 étages, qui poussent tous ensemble, en paquets de 10 ou 15, tout autour de la ville. Il y a aujourd'hui 9 millions d'habitants dans la préfecture de Quanzhou. Un aéroport vient d'être construit, la ligne de train à grande vitesse est en construction. Notre vol part de Xiamen, l'autoroute y mène, bouchons, camions, chantiers, chantiers, chantiers.